Cinéma : un lieu, du lien

| Tribune libre dans Sud-Ouest daté du 29 décembre 2009 |
| François Aymé, directeur du cinéma Jean-Eustache (Pessac) |



Plus de multiplexes, plus de séances, plus de films, plus de formules tarifaires... Mais pas beaucoup plus d'entrées. C'est en résumé la stratégie et le résultat des dix dernières années de l'exploitation cinématographique française. Malgré le succès historique des Ch'tis, la fréquentation 2008 (près de 190 millions d'entrées) enregistre une hausse de + 6%, correcte sans plus, un résultat comparable à 2006 et en deçà de 2004 (195 millions). Au milieu des années 90, les multiplexes ont été la réponse tardive au développement de la vidéo et des chaînes. Mais ces investissements destinés plutôt à un public jeune ont été faits quand celui-ci se détournait des salles pour Internet et le téléphone portable. Le vieillissement du public est spectaculaire : en 1980, les plus de 50 ans représentaient 7% des entrées, ils en totalisaient 31% en 2006. L'impact des multiplexes, d'abord réel, n'a pas tenu toutes ses promesses. Conscients de cet état de fait, les circuits ont cherché vainement des parades : les cartes "Illimité" dont la rentabilité s'avère limitée ; la bataille bien mal engagée contre le piratage ; la mise en place de marge arrières avec facturation de la diffusion des bande-annonce qui reporte sur les distributeurs les difficultés de l'exploitation (voir le rapport du Club des 13*) ; la bataille dérisoire et dangereuse contre les salles municipales, qui ne représentent que 1,9% du marché et assurent pourtant une mission sociale dans les zones rurales et périphériques. Restent le passage à la diffusion numérique qui se fait attendre et, peut-être, un nouvel attrait grâce à la projection en relief.

En somme, face à la révolution des pratiques culturelles générées par le portable et Internet (70% des foyers équipés aujourd'hui contre 5% en 1997), l'exploitation est restée sur ses réflexes ataviques : je rénove ma salle, je change mes tarifs, je fantasme sur la concurrence sans repenser la relation au spectateur. L'avenir des salles réside pourtant dans leurs spécificités. Il faut rappeler l'évidence : un cinéma est un LIEU qui peut se révéler attrayant grâce à son architecture, son ambiance et par l'équipe qui l'anime. Des multiplexes désincarnés, est-ce la bonne réponse à un public qui cherche du lien ? Pour que les salles fassent des entrées, il faut que le ciné soit UNE VRAIE SORTIE. Or pour toucher le spectateur, le plus souvent l'exploitant bombarde le film à coup de projections, BANALISE la séance et évacue tout rituel. Le public a le choix des horaires, mais le revers dévastateur est une moyenne par film et par projection de 30 spectateurs, soit un taux de remplissage misérable de 15% (une salle ayant en moyenne 200 fauteuils). Que reste-t-il du sentiment de partager un événement quand on voit un film dans une salle presque vide ? De plus, opérationnelle pour les blockbusters, à Paris, dans les grandes villes, cette cadence de séances augmente le seuil de rentabilité de la diffusion des films et se transforme en guillotine pour les titres aux succès mitigés. Moins de projections, mieux remplies signifierait des coûts de fonctionnement moindres et une ambiance plus chaleureuse.

La salle retrouvera un attrait spécifique en assumant un rôle d'éclaireur parmi la foire aux images dans laquelle peinent à surnager les œuvres. Voir les films, les conseiller, les défendre par un texte, par une animation : voilà l'enjeu d'avenir pour un directeur. Cette fonction de prescription demande temps, savoir-faire et moyens financiers. Elle implique une formation spécifique. C'est l'une des clés du lien de confiance avec les spectateurs. Par ailleurs, le vieillissement du public nous renvoit à une nécessaire éducation au cinéma, assurée hier par les ciné-clubs, relayée naguère par la télé publique et qui relève aujourd'hui de la responsabilité des salles et des pouvoirs publics.

Face à un bouleversement des pratiques culturelles de l'image, l'exploitation s'entête dans des stratégies périmées alors que c'est d'abord le métier d'exploitant qu'il faut changer pour que la sortie cinéma redevienne un spectacle et un moment singulier de culture et de rencontres.

François Aymé
le 29/12/2009


* Télécharger le rapport du Club des 13
| "Le milieu n'est plus un pont mais une faille" (avril 2008) |
| • I • résumé du rapport |
|• II • rapport |

Culture multmedia : subventions en berne

MARIE LECHNER
LIBERATION
QUOTIDIEN : vendredi 25 janvier 2008

Budget. En se désengageant, l’Etat fragilise un secteur tout juste en train de se structurer.

Nouvelles coupes sombres dans le budget de la culture. Cette fois, c’est l’art multimédia qui subit le désengagement de l’Etat. Premières victimes : les ECM, espaces culture multimédia, un programme qui, depuis dix ans, sensibilise et initie le public aux technologies, prioritairement sous l’angle culturel, et soutient la création numérique. La rumeur bruissait depuis novembre : les ECM, convoqués au compte-gouttes par les directions régionales des affaires culturelles (Drac), se sont vus retirer leurs subventions. Des sommes qui peuvent paraître dérisoires (entre 10 et 30.000 euros), mais qui sont essentielles pour plusieurs de la centaine de structures concernées. Programmations annulées, postes menacés et plusieurs lieux voués à la disparition.

Difficultés. Le label recouvre des situations diverses. Certains ECM sont liés à des salles, comme El Mediator, à Perpignan, qui organise chaque année le festival Tilt, contraint de revoir son action culturelle à la baisse. D’autres, dont toute l’activité est tournée vers le multimédia, se retrouvent extrêmement fragilisées. Pour L’ECM4, à Bourges, adossé à l’association Bandits-Mages, les 18.000 euros supprimés représentent un tiers des subventions Drac. Conséquence : «La suppression de deux postes sur six, l’annulation de la programmation 2008 - Brian Holmes, Konrad Becker, Granular Synthesis, une Nuit du son et de la vidéo - et des ateliers avec les artistes sur les pratiques numériques. C’est aussi la remise en cause du travail commun avec Labomedia à Orléans et l’atelier nUM à Tours», selon la codirectrice Isabelle Carlier, qui craint que le désengagement de l’Etat n’entraîne de surcroît un retrait des collectivités locales. Malgré des équipes et des moyens réduits, les trois ECM de la région Centre ont mis leurs efforts en commun et ainsi accueilli le Poulpe, webradio expérimentale en réseau avec les Nantais d’APO33, avec atelier et installation dans chacune des villes.

Même situation à la Maison populaire à Montreuil, dont une grande partie de l’activité repose sur cette subvention. «Ça remet en cause toute la politique de diffusion de la culture numérique en région», constate la coordinatrice Jocelyne Quélo en soulignant que les ECM étaient loin d’être les seuls touchés. Les aides de la Drac au multimédia en Ile-de-France baissent de 70 %. La remise en cause de la politique de soutien à la création multimédia est accentuée par la suppression de 40.000 euros de subventions Drac, alloués à l’Aide à la création multimédia expérimentale d’Arcadi, et la suppression de celles allouées à Dédale, qui organise le festival Emergences.» Dédale fait partie des 19 structures touchées dans la région, avec Anomos et Synesthésie. «Nous pensions que la création multimédia faisait partie des priorités de la ministre», s’étonne l’association dans une lettre ouverte au directeur des affaires culturelles d’Ile-de-France, alors que «le secteur rencontre un engouement croissant de la part des artistes et du public, en particulier jeune». Ce gel des aides ne devrait qu’accroître «le retard de la France dans la production et la diffusion de la création artistique multimédia» et pénaliser «les artistes français qui ont beaucoup de difficultés à produire et diffuser leur travail en France».

«Péril». Touchées également, les structures de diffusion d’art vidéo et de cinéma expérimental, comme Vidéoformes à Clermont-Ferrand ou les Yeux de l’ouïe à Nancy. Le conseiller technique pour les nouvelles technologies au ministère de la Culture n’a pas donné suite à nos appels. «Ça met en péril tout l’écosystème, déjà très fragile en France du fait de l’absence de marché de l’art dans la culture multimédia, constate Gérald Elbaze, directeur du centre de ressources Médias-Cité. Ces lieux accueillent des artistes qui contribuent à développer un regard critique sur cette société de l’information. La civilisation numérique ne peut pas être seulement celle de l’entertainment.»