Club des 13 : Christine Albanel au rapport

DIDIER PÉRON
LIBERATION
QUOTIDIEN : mercredi 9 avril 2008


Irritation. La ministre a commenté dans la presse le texte du collectif avant même de l’avoir reçu.


Le rapport rédigé par le Club des 13 (Libération du 28 mars), groupe de réflexion interprofessionnel né sous l’impulsion de la cinéaste Pascale Ferran, a été remis à Christine Albanel, jeudi 3 avril, par une délégation élargie (avec notamment Cédric Klapisch, Nicole Garcia, Bertrand Tavernier…). Mais les problèmes ont commencé dès le lendemain, avec la parution, dans l’hebdo le Film français, d’un entretien avec Christine Albanel sur les mesures préconisées par un autre rapport (Cinéma et concurrence, d’Anne Perrot et Jean-Pierre Leclerc, commandité par le ministère celui-là), dans lequel la ministre de la Culture en profitait pour commenter les conclusions et propositions du rapport du Club des 13.

«Un rapport intéressant», dit-elle, mais «qui passe un peu vite sur ces dernières années, où le paysage a commencé à se rééquilibrer, comme en témoignent les derniers chiffres du CNC [Centre national de la cinématographie]». Comme les 200 pages du rapport des 13 pointent plutôt un déséquilibre croissant entre gros et petits, riches et pauvres, on ne sent pas poindre une grande convergence sur le diagnostic. La ministre, interrogée sur la mise en cause des diffuseurs (télévisions, multiplexes et bientôt opérateurs de téléphonie…) dans la dégradation des mode de production et l’uniformisation des films, répond : répond : «qui passe un peu vite sur ces dernières années, où le paysage a commencé à se rééquilibrer, comme en témoignent les derniers chiffres du CNCLe cœur du rapport concerne les relations étouffantes entre le cinéma et les diffuseurs. Rappelons que c’est un système que toute l’Europe nous envie. Dire qu’il ne permet pas l’audace et que tous les films sont formatés me paraît un peu exagéré. […] Je pense que nous devons soutenir tous les cinémas. Ce serait le rêve des Américains de se réserver le cinéma de divertissement et de nous cantonner au "cinéma d’auteur". Nous avons aussi besoin des Ch’tis, qui conduisent toutes les générations en salles.»

Comme on pouvait s’y attendre, cette réaction à chaud a surpris les membres du Club des 13, lesquels se sont fendus dans l’urgence d’un communiqué de presse furax : «Nous avons été reçus très courtoisement par Mme Albanel, qui nous a dit avec circonvolution qu’elle nous répondrait plus longuement après avoir lu notre texte. Nous étions en parfait accord avec elle sur ce point. Quelques heures plus tard, nous apprenions, par voie de presse, qu’elle avait lu le rapport avant que nous ne lui remettions. Elle l’avait même tellement lu qu’elle l’avait déjà commenté pour le Film français, bien avant de nous recevoir pour nous dire officiellement qu’elle ne l’avait pas lu. Cette promptitude dans la réaction n’est pas sans évoquer le sapeur Camember, qui affirmait que si les pompiers arrivaient sur les lieux d’un incendie avant qu’il n’éclate, cela réduirait considérablement les risques. Par ses commentaires d’un rapport non lu ou sa réception officielle d’un rapport déjà lu, la ministre doit penser avoir maîtrisé les risques d’incendie. Nous pensons, à l’inverse, qu’en nous prenant assez ostensiblement pour des imbéciles, elle jette de l’huile sur le feu. Quel feu ? Celui qui se propage depuis des années et qui a pour noms perte de confiance et discrédit des hommes et des femmes politiques et de leur fonction au plus haut niveau de l’Etat.»

Cette colère ne fait qu’alimenter la poursuite de la constitution d’une chaîne de cosignataires supportant le rapport, plus de 150 désormais, dont une quarantaine de producteurs, des agents et des stars (Nathalie Baye, Fanny Ardant…).


Didier Péron
Libération, le 9 avril 2008