Le compte n'y est pas

| par Jean Roy | réflexion |
| l'Humanité, le 21 janvier 2009 |


| rapport Auclaire Par ailleurs le cinéma est aussi est diverstissement, propositions pour le soutien à l'action culturelle dans le domaine du cinéma | télécharger le rapport | télécharger les annexes |

Le rapport Auclaire sur l’éducation au cinéma ne séduit guère François Aymé, directeur du Jean-Eustache à Pessac.

En février 2008, Christine Albanel, ministre de la Culture, commandait à Alain Auclaire, ancien président de la Femis, un rapport devant formuler des propositions pour améliorer la complémentarité et la cohérence des actions menées en faveur de la diffusion culturelle du cinéma, de l’aménagement cinématographique et de l’éducation à l’image. Il s’agissait là d’une mission essentielle, tant on remarque une désaffection grandissante de la salle chez les spectateurs entre quinze et trente-quatre ans (prix des places ? téléchargement, légal ou non ? déplacement des modes de consommation ? budget réduit des jeunes passant désormais en priorité dans le téléphone portable, le baladeur et l’accès à Internet ?…). Pourtant, des efforts sont entrepris comme en témoigne Collège au cinéma, qui fête en ce moment ses vingt ans et peut se targuer d’avoir touché cette année 11 % de l’ensemble des élèves et des apprentis. Pour faire le point sur les vingt-deux propositions du rapport Auclaire (disponible en ligne), remis le 10 décembre à Christine Albanel, nous avons recueilli l’avis de François Aymé, directeur du Jean-Eustache à Pessac, ensemble de cinq salles associatives (bénéficiant de subventions) qui font le bonheur du cinéphile tant y sont multipliés les avant-premières, les rencontres, les événements (dont le Festival international du film d’histoire) et les débats. Nous l’avions interviewé il y a juste un an alors qu’il venait de rédiger le manifeste Exploitation cinématographique : les salles municipales, boucs émissaires de l’imprévoyance des circuits, au lendemain de la création du Collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, ce même collectif qui vient de tenir les 8 et 9 janvier au 104 à Paris les premiers États généraux de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle. C’était l’époque où UGC et MK2 attaquaient la volonté du Méliès, à Montreuil, de s’agrandir et, par ailleurs, le moment de la baisse des crédits des DRAC (Direction régionale de l’action culturelle).


Depuis, selon François Aymé, la ministre a mis de l’eau dans son vin. En commandant le rapport Auclaire et en annonçant le doublement des crédits à la rentrée 2008 pour Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma, ce qui, souligne le directeur du Jean-Eustache, était irréaliste tant était éludée la question de la formation des professeurs et celle du tirage des copies. Pour ce qui est du rapport Auclaire, François Aymé le juge « institutionnel, administratif, mais pas politique ». Et d’insister : « Pour un texte comme celui-ci, il faudrait une vision politique », précisant : « Quand Jack Lang et Jack Gajos créent l’Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC), il y a une vision politique, la mise en place d’un vrai dispositif pensé dans son intégralité : vingt-cinq ans après, cela tient encore. » De même, « quand sont créés les pôles régionaux du cinéma en 1998, il y a une vision politique, il s’agit d’avoir une structure référente dans chaque région de logique territoriale et structurelle, de s’appuyer sur des structures qui ont fait leur preuve comme le Festival du court métrage à Clermont-Ferrand. Il y avait de bonnes propositions, comme mieux relier le CNC aux DRAC. Le CNC avait des représentants régionaux et aidait ainsi les commerces de manière très efficace. » Exemple le Jean-Eustache, qui avait fermé et que le CNC Bordeaux a accompagné pendant six mois.


Depuis, par souci d’économies il n’y a plus de délégués régionaux : « L’État a dit que ce n’était pas grave et qu’il y aurait un conseiller cinéma par DRAC, mais plus de la moitié n’en ont pas. Ici, il n’y a qu’un conseiller livres, dont le cinéma n’est pas la préoccupation. C’est un vrai déficit de l’institution. Alain Auclaire pointe ce problème et dit que les DRAC doivent travailler mieux avec le cinéma, mais il n’aborde pas la question de la formation, ce qui est curieux car il en vient. Il n’est pas question de formation culturelle des exploitants, alors que le métier évolue. Au Jean-Eustache, 250 jours par an il y a de l’animation, des séances pour les enfants et les scolaires. Les gens doivent avoir le sentiment que c’est une vraie sortie, qu’ils vont voir quelque chose d’exceptionnel. Il y a un travail d’accompagnement à faire. Le public art et essai est de plus en plus important, même dans les petites villes. Diriger une salle de cinéma, c’est voir les films. Il faut pouvoir écrire sur les films, organiser un débat, avoir un site Internet et le faire vivre. Tout cela ne s’improvise pas et il faut former ces gens. On pilote École au cinéma dans la Gironde sur trente cinémas. Donc il faut faire une séance pour les profs, car il faudrait que chaque cinéma puisse bénéficier d’une petite introduction. Dans la petite salle d’une ville de trois mille habitants où le projectionniste est seul, il ne le fait pas ou il le fait mal. »


D’où tous les reproches que fait François Aymé à cette absence de la formation initiale, que de surcroît les grands circuits ignorent alors qu’ils tiennent les syndicats. Du coup, la convention collective ne connaît pas les métiers comme adjoint de direction chargé du jeune public. Il déplore aussi la présentation statisticienne du rapport, établi sans approche qualitative, comme la non-remise en cause du modèle qui s’appuie sur un maximum de copies sur un minimum de temps, ce qui ne vaut que pour les multiplexes. Lui défend l’idée de moins de séances davantage préparées. On le suit volontiers.

Jean Roy