Pour l’action culturelle cinématographique aussi, il y a des états généraux (1/2)

| Le 14 janvier 2009 à 16h00 |
| www.telerama.fr |


LE FIL CINéMA - Il n’y a pas que la presse qui soit en danger. Festivals et autres manifestations subventionnées consacrées à l’image souffrent aussi… C’est pour cela qu’a été créé le Collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, qui tenait ses premiers états généraux il y a quelques jours. Deux de ses membres, Amélie Chatellier (de la Société des réalisateurs de films), et Catherine Bailhache (de l’Association des cinémas de l’ouest pour la recherche) reviennent sur ce mouvement et ses objectifs.



Quand et pourquoi est né votre mouvement ?

Amélie Chatellier : Depuis l’automne 2007, on savait que se profilaient des réductions de crédits et des baisses de subventions pour les festivals, les réseaux de salles ou les circuits itinérants. La somme que l’Etat projetait alors de supprimer était dérisoire à son échelle, mais absolument vitale à la nôtre. D’où l’émergence d’une forte mobilisation des acteurs culturels de l’image. Une trentaine d’associations s’est réunie pour rédiger un texte intitulé « Cinéma et audiovisuel, vers le démantèlement de la diversité culturelle ? » : un appel à toutes les structures qui se sentaient concernées par ce combat à se retrouver le 11 janvier 2008 à Paris. Aujourd’hui, le collectif compte 380 structures.

Catherine Bailhache : Depuis trente ans que je suis militante de l’action culturelle, c’était la première fois que je voyais réunis dans un même endroit des producteurs, des exploitants, des distributeurs, des réalisateurs, mais aussi des gens des foyers ruraux, des MJC, de la ligue de l’enseignement. Tous au service de la culture et de sa démocratisation. Un an après, on constate que leur énergie et leur détermination sont intactes.


Qui sont les plus touchés, les plus en danger dans le domaine du cinéma ?
Amélie Chatellier : Certains festivals ont été durement touchés : les plus petits, bien sûr, qui font pourtant un travail remarquable pour montrer des œuvres souvent exigeantes dans des zones de désertification culturelle. Mais les grands festivals ont aussi été frappés à la marge : celui de La Rochelle, par exemple. On lui a enlevé 2.000 €, correspondant au financement d’un atelier de cinéma dans une prison ; un autre festival se voit retirer 3.000 €, qui lui permettaient d’assurer son programme d’éducation à l’image... Ce sont des économies de bouts de chandelles sur des actions qui semblent périphériques mais sont en fait le cœur même de l’action culturelle.


Quelles actions avez-vous menées depuis ?
Amélie Chatellier : Il y a eu le 22 février 2008, le soir de la cérémonie des Césars : la déclaration de Jeanne Moreau, le message censuré de Mathieu Amalric et notre opération “Ecrans noirs”, qui a permis au public de venir débattre de l’avenir de l’action culturelle dans les salles. Notre principal problème est de s’organiser : notre collectif n’est pas une association, il fonctionne grâce à la seule volonté de ses membres, tous bénévoles. C’est donc parfois difficile de s’organiser, de communiquer et de maintenir le pouvoir politique sous pression. Mais, malgré ces difficultés, en un an nous avons tout de même réussi à nous imposer comme un interlocuteur incontournable : nous avons rencontré à maintes reprises les gens du CNC ou du ministère de la Culture.

Catherine Bailhache : C’est un travail de lobbying qui commence à porter ses fruits : en novembre 2007, on apprend l’imminence d’une baisse drastique des financements publics, jusqu’à 100 % dans certains cas – autant dire la disparition pure et simple de certains d’entre nous. Or, la mobilisation a permis de limiter la casse en poussant l’Etat à revoir ses arbitrages budgétaires et à réinjecter de l’argent. Ma propre structure, un réseau de salles régionales, a failli perdre 50 % de sa subvention ; ce chiffre a finalement été ramené à 15 %. Il y a un an, on avait du mal à se faire recevoir par les représentants de l’Etat, aujourd’hui, non seulement nous sommes reconnus, mais ces mêmes représentants font le déplacement pour assister à nos Etats généraux.


Pourquoi ces Etats généraux ?
Catherine Bailhache : L’action culturelle est à la fois une pratique très bien partagée, puisqu’elle touche toutes les disciplines, et en même temps compliquée à définir. Si l’on demande à un spectateur lambda ce que c’est que l’action culturelle, il y a des risques pour qu’il sèche. On peut se dire que ce terme s’applique, par exemple, à la venue des réalisateurs dans les salles, sauf que si l’on entend par là les trois minutes passées par l’auteur d’un méga-blockbuster dans un multiplexe pour présenter son film en avant-première, alors on confond action culturelle et promotion. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’un cinéaste qui accepte de passer trois ou six mois à accompagner son film, allant partout, y compris dans les visages, se situe clairement dans une démarche d’action culturelle. De plus, souvent, il n’est pas payé : soit parce que, traditionnellement, on considère (à tort) qu’il fait la promotion de son film, soit faute de moyens. D’où la nécessité de se mettre d’accord sur le type d’actions et de valeurs que ce terme recouvre. On défendra d’autant mieux l’action culturelle qu’on saura bien la définir, car si on est capable de l’expliquer à notre voisin du dessus, alors on sera aussi en mesure d’obtenir des politiques les financements nécessaires à son bon fonctionnement. Ces Etats généraux sont la première étape de ce travail, qui sera long, car il est collectif et transversal. Dans quelques mois, il faut que nous soyons capables de produire cette charte commune.

Vu l’état d’urgence que vous décrivez, la rédaction d’une charte semble une réponse bien faible...
Catherine Bailhache : Non, car pour défendre une même cause, il est indispensable que nous parlions le même langage, nous qui pratiquons parfois des métiers très différents et dont les intérêts sont parfois divergents. Entre un exploitant et un distributeur, les occasions de se disputer sont nombreuses, mais on défend malgré tout la même vision du cinéma et on partage la même passion pour cette question cruciale : comment accompagner et montrer les films ?


Quels sont vos autres objectifs ?
Amélie Chatellier : Hier, lors de la journée interprofessionnelle, le collectif a décidé de monter des ateliers de travail autour de sujets cruciaux comme, par exemple, la question du bénévolat, dont la remise en cause a mis récemment en péril le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Nous allons aussi travailler à élaborer une contre-proposition au rapport d’Alain Auclaire, chargé par le ministère de la Culture de plancher sur la diffusion culturelle et l’éducation à l’image. Ce rapport oublie des pans entiers de l’action culturelle et ne propose rien de très nouveau. On va tâcher de proposer autre chose, mais ça prendra du temps. On avance en marchant...
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Propos recueillis par Mathilde Blottière