Fête de la musique. À l’initiative des Têtes Raides, associés au Collectif Sauvons la culture !, une caravane propose de sonner l’alarme devant l’absence de politique culturelle publique ambitieuse.
Pas question de jouer les rabat-joie. La Fête de la musique est un événement populaire et son succès, chaque année, en atteste. Pour autant, allons-nous nous réfugier derrière le paravent ministériel et nous mettre à chanter sur l’air du « Tout va très bien, Madame la ministre » ? La situation réservée ces derniers temps aux artistes, à la création, se détériore. Il y a, bien sûr, toute la série de baisses et de gels budgétaires programmés qui n’épargne aucun secteur, musique, cinéma, spectacle vivant… Et derrière ces « économies » - soyons rationnels, soyons pragmatiques - se profile un paysage culturel bouleversé. Faut-il rappeler que le spectacle vivant attire chaque année dans notre pays plus de spectateurs dans ses salles que le football dans ses stades ? Au nom du dogme du « moins d’État », derrière la seule « culture du résultat », c’est l’engagement historique de l’État en matière de soutien à la création, de promotion et de développement de la diversité culturelle qui est dès lors remis en cause. Pour mieux soumettre la création à l’attente du public comme le préconise Nicolas Sarkozy dans sa lettre de mission à Mme Albanel ? Cherchez l’erreur.
Faire du 21 juin un moment festif et combatif, tel est le défi que s’apprêtent à relever les Têtes Raides rejoints par d’autres musiciens mais aussi des cinéastes, des danseurs, des acteurs… Pour réaffirmer haut et fort que « les artistes, tous arts confondus, se rassemblent pour et affirmer le caractère essentiel de la création, le droit inaliénable pour tout être humain d’accéder à l’imaginaire et à la pensée, à l’éveil sensible et à l’esprit critique, la nécessité d’une politique culturelle ambitieuse, intelligente et généreuse, à la hauteur de l’enjeu démocratique ». Le 21 juin, suivez la caravane !
Marie-José Sirach
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La caravane de la culture ne connaît pas encore tous les arrêts : Théâtre du Rond-Point, la Maison des métallos, mais encore des lieux symboliques dans d’autres villes de France. Les petites rivières font les grands ruisseaux… Devant la gravité de la situation, l’idée de transversalité, de créer des passerelles entre différentes forces artistiques, fait son chemin depuis l’appel lancé lors du Festival de Cannes (lire ci-dessous). Rencontre avec Grégoire et Christian des Têtes Raides.Quel sens donnez-vous à votre appel du 21 juin ?
Christian Olivier. L’an dernier, on a fait « chut ». Cette année, on va faire « boum » ! Nous ne voulons pas laisser passer cette Fête de la musique sans rien dire. L’an dernier, déjà la question de la place de l’artiste, de la place de la musique était présente. D’où l’idée de couper le son pour pouvoir réentendre la musique, de dire haut et fort « chut ». Aujourd’hui, les problèmes dans la musique perdurent, mais on s’aperçoit qu’aucun secteur n’est épargné : dans le cinéma, dans le théâtre, dans les arts plastiques tous les champs artistiques sont touchés. On s’est dit que la Fête de la musique devait au moins servir d’échos aux problèmes de la culture dans ce pays. De notre côté, on croise beaucoup d’artistes en difficulté, des lieux de concerts complètement asphyxiés par des lois chaque fois plus restrictives… On a toujours cherché à défendre les passerelles entre les différentes formes culturelles. Dans la musique, il a de la lumière ; dans la lumière, il y a de la peinture ; dans la peinture, il y a de la danse. Aujourd’hui, défendre la culture dans ce pays, c’est travailler à la fois sur les moyens, mais pas seulement. Il s’agit aussi de combattre ce qui est en train de se mettre en place : l’individualisme, le chacun dans son coin pour défendre sa case.
Le 21 juin, on veut dessiner un chemin qui passe d’un lieu de cinéma à un lieu de théâtre, d’un lieu de danse à un lieu de musique, aux arts de la rue. On souhaite, dans une première étape, se parler puisque toute la politique est faite pour ne pas se parler, pour isoler les gens.
L’idée est donc de rassembler les acteurs de la culture au-delà de leur propre pratique et de tirer une sonnette d’alarme…
Grégoire Simon. Aujourd’hui, la Fête de la musique est devenue une fête d’État. Et l’État a un rôle fondamental à jouer dans la diffusion de la culture. On voudrait, à cette occasion, lui rappeler ses prérogatives, ses responsabilités, mais aussi lui montrer qu’on est largement capable de discuter entre nous, de réfléchir et de proposer. Nous, on travaille pour le public. L’État doit de ce point de vue, jouer son rôle de diffuseur. En tout cas, pas s’ériger en censeur ou en juge. Il doit répondre à la demande artistique et à la demande du public. Dans la culture, il y a le patrimoine d’hier, celui d’aujourd’hui et de demain. Pour l’heure, l’État s’occupe surtout du patrimoine d’hier. Nous pensons que le patrimoine d’hier doit financer le patrimoine de demain. Du point de vue de la démarche, on n’est pas loin du collectif Sauvons la recherche. La recherche et le développement en culture existent aussi.
Christian Olivier. Il y a aussi les liens avec les associations humanitaires, qui souvent nous sollicitent pour soutenir telle ou telle action. L’idée, c’est, pour une fois, d’inverser les rôles, que les associations viennent défendre la culture.
Grégoire Simon. Le collectif Immigration jetable prépare une grosse opération pour le mois d’octobre, au moment de la refonte des lois européennes concernant l’immigration. Ils nous ont sollicités pour refaire ce que nous avions fait en 2003 à la République, à Paris. On les a mis sur le coup. Il en va de notre intérêt commun d’être en résonance. Car la culture, ce sont bien évidemment ses propres acteurs, mais aussi les gens qui s’en servent et qui en ont besoin.
Parvenez-vous à dialoguer avec les pouvoirs publics, en l’occurrence le ministère de la Culture ?
Christian Olivier. Dans le domaine de la musique, nous sommes moins bien organisés que dans le secteur du cinéma. Au moment du KO social, on passait un coup de fil et les gens du métier venaient. Aujourd’hui, c’est plus difficile. On croise des musiciens qui pensent que le disque, c’est fini. Nous ne le pensons pas. Nous continuons à vendre des disques dans les lieux où l’on joue. Même si les choses peuvent évoluer très rapidement. L’action est isolée, mais il peut y avoir une dynamique qui peut suivre très vite derrière.
Vous estimez que la situation concernant la musique se dégrade ?
Christian Olivier. On a récemment joué dans toute une série de salles dites de musiques actuelles toutes neuves. En fait, ce sont des boîtes à son en périphérie des villes. On emmène tous les jeunes à un endroit complètement excentré, fliqué. Ainsi, on est sûr qu’ils ne sont plus en ville, toute l’activité se déroulant à l’extérieur. On crée un endroit entièrement protégé où les gens rentrent, sont fouillés. Ils passent cinq minutes au bar et sont aussitôt éjectés par des vigiles. Et le quartier, une heure après le spectacle, redevient vide. C’est vraiment une conception consommatrice de la musique. Ça nous semble assez grave…
Votre ambition, c’est de pouvoir fédérer tout cela, mais aussi donner une visibilité à votre action ?
Grégoire Simon. On souhaite que les gens qui font le même métier puissent se parler. On est tous animés du même sentiment, de la même volonté de partager une même énergie quand bien même tout est fait pour parcelliser la culture, nous diviser. Si on fait des spectacles, c’est pour diffuser une énergie dont les gens ont besoin : les enfants, les ados, les adultes, les seniors. Or, actuellement, la baisse de subventions accordées par les DRAC aux festivals, quels qu’ils soient, c’est un coup de poignard donné à tous les lieux qui à l’année essaient de diffuser de la musique ou à tout autre forme d’art. Ce qui est dramatique, en termes de chiffres, c’est la perte de moyens accordés aux milieux culturels.
Christian Olivier. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on ne joue plus qu’en festival. On a une programmation qui est limitée sur deux, trois jours ou une semaine, et toute l’économie est basée là-dessus. Derrière vient se greffer une politique de tourisme. Il faut voir le nombre de festivals qui ont vu le jour ces cinq dernières années ! C’est délirant. Résultat, on fait de la musique pour que, dans le village, on vende du pâté et du saucisson !
Grégoire Simon. Ce qui m’avait frappé en 2003, au moment de l’annulation du Festival d’Avignon, c’est le soutien inconditionnel de la chambre de commerce, de l’industrie et du tourisme aux intermittents du spectacle ! On a réalisé que 1 euro investi dans la culture en rapportait cinq. Bon nombre de secteurs de l’économie vivent de la culture. Mais en retour, que donnent-ils pour la culture ? Par rapport à ce qu’elle lui rapporte, que donne l’État ? La rénovation des appartements du château de Vincennes, c’est bien, c’est important. Mais que fait-on pour demain ? Tout ça ne doit pas juste profiter aux toure-opérateurs. Le tourisme vit de la culture, qui vit, elle, de peau de chagrin. La culture est un bien commun, elle forme un patrimoine commun qui nous appartient à tous et que l’on doit partager. Ce n’est pas parce que le mécénat existe que l’État doit déroger à ses responsabilités.
Quels lieux comptez-vous investir le 21 juin ?
Christian Olivier. On va trouver un cinéma, un théâtre emblématique qui nous accueille pour à la fois diffuser du son, des images et prendre la parole pour que les idées circulent. Faire la Fête de la musique, c’est bien, mais en même temps, aujourd’hui, je trouve ça dur. Ce qui importe ce jour-là, c’est de dire quelque chose en commun.
Grégoire Simon. C’est une déambulation qui va toucher plusieurs lieux, pour montrer que les passerelles existent entre les différentes activités artistiques.
Christian Olivier. Ensuite, on propose d’autres fêtes de la musique à d’autres dates que le 21 juin. Peut-être en septembre ou en octobre. Nous ne sommes qu’au tout début d’une action qui s’annonce longue.
Grégoire Simon. Quelque chose qui pourrait ressembler à « culture en fête », peut-être même détaché de la musique. La Fête de la musique est, avec la Fête du cinéma ou les Journées du patrimoine, un moment important où l’État peut jouer son rôle et permettre au plus grand nombre d’approcher un art. Or l’art n’appartient pas à l’État, mais à ceux qui le font. La responsabilité publique est grande et ne doit pas se contenter d’une journée par-ci par-là. Elle doit intervenir sur un projet global, ambitieux. Si la culture, c’est le Puys-du-Fou, qu’on nous le dise ! Il faut redonner le goût de la pratique artistique en milieu scolaire. Si on rendait l’accès possible au cinéma, à la danse, au théâtre, à la musique, aux arts plastiques ou aux arts de la rue, ça procurerait de la lumière dans les yeux de plein de gamins.
Prévoyez-vous des actions en région ?
Christian Olivier. On pense à des lieux symboliques. Tels des rendez-vous de gens de la culture pour faire « boum » devant des monuments historiques nationaux. C’est le lien entre le patrimoine d’hier et le patrimoine de demain. Que fait l’histoire pour la culture ? On demande des comptes !
Grégoire Simon. Comme dirait Bashung, la bombe est là et n’attend plus qu’une allumette… Le pétard est là, mais c’est un pétard qui balance du cotillon. On est plutôt dans le guignol aussi. On ne veut pas rajouter de la misère à la misère. Notre action doit être d’abord pacifique et, surtout, on doit garder de la marge pour se marrer. Sinon, ça ne vaut pas la peine d’envisager la lutte.
Entretien réalisé par Victor Hache et Marie-José Sirach
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