..."Nicolas Sarkozy n'a pas à s'en mêler"

20Minutes • le 28/05/2008
Propos Lluis Bassets, directeur adjoint d'El Pais
recueillis par Valérie Zoydo



Nicolas Sarkozy a critiqué la gratuité sur Internet et souhaite la réunion
d'états généraux de la presse écrite en automne.

Point de vue de Lluis Bassets, directeur adjoint de la rédaction d'«El Pais».


«Comment voulez-vous que les gens achètent leurs journaux en kiosque s’ils sont gratuits sur Internet?», s’est interrogé Nicolas Sarkozy mardi matin sur RTL. Comment analysez-vous cette interrogation?
Le fait qu’il mette cette question à l’ordre du jour est symptomatique de son quinquennat : c’est un président médiatique, il ne pense qu’à communiquer. L’Internet par son effervescence est un média qui lui échappe. On ne peut pas contrôler les messages des blogueurs, les commentaires. Ce qui m’étonne le plus, c’est que ce soit le Président de la République qui prenne l’initiative de lancer des états généraux de la presse à l’automne. Ce n’est pas un sujet qui doit être aux mains de l’exécutif. Nicolas Sarkozy n’a pas à se mêler de ces affaires-là.


Vous qui gérez à la fois le papier et le web d’El Pais, avez-vous l’impression d’une forme de paradoxe : vendre du papier et en même temps mettre celui-ci gratuitement sur Internet? Votre contenu papier est-il le même que votre rédaction web?
El País publie ses contenus sur Internet et fournit en plus de l’information en flux continu propre au site. La question que pose Nicolas Sarkozy est cependant pertinente car elle met en lumière l’absence d’un modèle économique viable du marché journalistique.


La fragilisation de la presse écrite payante est-elle un problème franco-français?
La crise du modèle de la presse écrite payante est générale, que ce soit en France, en Espagne, en Europe, aux Etats Unis… Il est évident que si l’on peut accéder à l’information sans payer grâce à Internet, ou à la presse gratuite cela provoque un bouleversement du paysage médiatique. Le modèle de la presse écrite, vieux de 150 ans, s’en trouve donc modifié : les éditeurs de presse sont confrontés à une baisse conjointe des ventes et des recettes publicitaires en raison de la prolifération de nouveaux médias.


La presse espagnole a pourtant l’air de mieux se porter qu’en France…
La différence c’est qu’en Espagne, la presse s’est renouvelée, modernisée. Avant 1976, elle était quasi inexistante. Aujourd’hui, il y a de nouveaux journaux, avec un design plus attractif.

Les quotidiens nationaux français doivent-ils se remettre en question ?
Le problème est causé entre autres par le monopole de la distribution et le poids des syndicats du livre. Il faudrait davantage de flexibilité. En Espagne, la distribution est libre, il y a donc plus de rentabilité. D’autre part, j’observe plus de concurrence entre les journaux espagnols, qu’il n’y en a dans la presse française.


Le modèle de la presse écrite payante est-il périmé ?
A long terme, oui. Il faut le substituer par d’autres modèles qu’il reste encore à inventer. Même la presse gratuite ne l’a pas encore trouvé. Car en cas de crise économique, c’est cette dernière qui sera frappée de plein fouet, puisqu’elle n’a pas d’autres sources de revenus que la publicité.

Vers des états généraux de la culture

L'Humanité,
Cannes 2008


Sur le thème « Cinéma et audiovisuel : vers le démantèlement de la diversité culturelle en France. État des lieux/état d’urgence » : sur la Croisette, la colère a monté d’un cran.

Une mise au point. Six mois après l’appel lancé contre les baisses drastiques de subventions et la réunion au cinéma le Saint- André-des-Arts (voir notre édition du 17 janvier), le Collectif national pour l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, qui tenait débat jeudi au siège de la Quinzaine, rassemble à ce jour un millier de professionnels et près de 400 structures, organisations du cinéma, festivals, associations d’éducation populaire, syndicats… Marque de la diversité du collectif, on trouvait à la tribune Eugène Andréansky, délégué général des Enfants de cinéma, Amélie Chatellier, déléguée adjointe de la SRF, Philippe Germain, délégué général de l’Agence du court métrage, ou encore Antoine Leclerc, délégué général de Carrefour des festivals. Dans la salle comble, l’on notait la présence de cinéastes, tels Nicolas Philibert, venu souligner la nécessité de convergences entre cette mobilisation et celle du Club des 13, Jean-Henri Roger ou Éric Guirado, ainsi que des représentants de la Ligue de l’enseignement ou de la fédération des MJC, comme des élus qui, tel Alain Hayot, vice-président (PCF) de PACA, sont venus dire leur soutien, leur inquiétude partagée et leur volonté d’engager des initiatives publiques. Les propos rassurants de la ministre de la Culture, réitérés lors de sa venue à Cannes, prétendant notamment organiser un doublement des crédits en matière d’éducation au cinéma ont pu faire illusion quant à la stratégie gouvernementale : aucun chiffre national n’était disponible jusqu’alors. C’est après avoir effectué un recensement laborieux qu’Antoine Leclerc a pu affirmer que « les crédits alloués à la diffusion culturelle cinématographique ont baissé de 18 % en 2008, l’amplitude de cette baisse étant corroborée par le CNC », laissant craindre le pire pour l’an prochain. Philippe Germain a dressé ensuite un inventaire des dégâts (voir encadré), indiquant que le ministère a réduit à trente la liste – confidentielle ! – de festivals qu’il entendait financer directement, une inquiétude supplémentaire pour la suite du financement national en région et « loin d’être une garantie de "sanctuarisation" des crédits, ce transfert s’accompagne parfois d’une baisse des subventions, c’est le cas du Cinéma du réel ». Festivals menacés, ateliers de pratique artistique supprimés, réseaux de salles fragilisés à qui on demande de renoncer au financement public de leurs actions éducatives… « Nous voici obligés de constater que la préférence affichée dans la lettre de cadrage de Nicolas Sarkozy à la ministre pour l’éducation à l’image et l’accès pour tous à la culture masque une volonté de démanteler soixante ans d’acquis d’une politique publique d’action culturelle et artistique », a conclu le responsable de l’agence du court métrage.

Eugène Andréansky a annoncé la tenu d’états généraux en décembre qui devraient être précédés de nombreuses actions, en direction des parlementaires de toutes opinions d’ici au vote du budget 2009 à l’automne, a précisé Antoine Leclerc. Témoin de l’attaque sans précédent contre tous les aspects de la culture, Fabienne Hanclot, de la SRF, a lu le texte des Têtes Raides (lire ci-dessous). Rendez- vous donc le 21 juin.

Michel Guilloux



LISTE NON EXHAUSTIVE DES BAISSES DE CRÉDIT D’ÉTAT

Institut Jean- Vigo (Perpignan :)
moins 12 000 euros dont la moitié sur des actions patrimoniales.
Association
Sans canal fixe (Tours) :
la subvention passe de 15 000 à 5 000 euros.
Festival de Saint- Paul-les-Trois- Châteaux :
baisse de 17,5 %.
Festival
du film court (Villeurbanne) :
baisse de 14 %.
Festival Jean- Carmet (Moulins sur- Allier) :
baisse de 50 %.
Association
Plein Champ (Auvergne) :
baisse de 10 %.
Association
des cinémas de l’ouest pour la recherche :
baisse de 20 %.
Le Café des images (Hérouville-Saint- Clair) :
subvention de 15 000 à 3 000 euros.
Rencontres internationales de cinéma (Paris) :
subvention supprimée, l’initiative est annulée.
Caravane
cinéma d’Afrique (Sainte- Foy-lès-Lyon) :
subvention supprimée.




L’APPEL DES TÊTES RAIDES

Pas de fête sans musique !
Pas de musique sans culture !
Pas de culture sans nous !
21 juin BOUM !


La culture, c’est des centaines de métiers, des millions de spectateurs et d’acteurs culturels.

La culture, c’est un patrimoine à entretenir, à transmettre et à construire !

La culture, c’est l’histoire de chacun, l’apprentissage de la différence et de la diversité, la construction de la liberté individuelle au travers d’expériences multiples et polymorphes, individuelles et collectives !

La culture fait reculer la peur, l’ignorance et l’exclusion !

La culture est préalable à la récolte, elle nécessite de l’attention, de l’opiniâtreté, de la quotidienneté, de l’investissement, du professionnalisme.

Quand l’État fixe des critères économiques de résultat à la culture, il renie sa mission d’intérêt général et de service public pour lequel il est élu.

Nous, professionnels de la culture, affirmons que nous ne laisserons pas démanteler notre histoire, notre passion, notre avenir, et que comme la santé et l’éducation, c’est l’affaire et l’intérêt de tous.

La culture, c’est le relais indéfectible des idées, des luttes et des combats ! La culture nous lie et nous tient ! Ne laissons pas les chacals brouter nos idéaux !


Le 21 juin, nous occuperons un cinéma, un théâtre, une salle de danse, un monument du patrimoine, nous manifesterons spectaculairement notre soutien à tous les exclus de la liberté et des droits pour converger vers la Cartoucherie de Vincennes, lieu d’expression vivant de la culture et de la citoyenneté !





Pas glamour

22 mai 2008
par Jean-Michel Frodon


Cannes est aussi un lieu de mobilisation. Sans doute n’est-ce pas ce qui fait la Une des gazettes, et les paparazzi ne s’y pressent pas, mais l’assemblée du Collectif de l’action culturelle cinématographique, faisant le point des actions engagées depuis l’hiver dernier face au retrait du soutien public. Si le Festival de Cannes a un lien avec l’actualité sociale du pays (grève massive partout sauf sur la Croisette) comme avec un passé prétendument célébré ici (68, il y a combien de temps), c’est sans doute dans ce genre d’endroit sans tambour ni paillettes, là où il est question de travail au long cours et de maillage en profondeur, au côté des films et des spectateurs.


Mercredi 21 mai 2008

Christophe Kantcheff et Ingrid Merckx sont à Cannes pour le Festival du cinéma. Retrouvez chaque jour sur Politis.fr leurs billets en direct de la Croisette.



Réussite totale pour la conférence de presse du collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, annoncée ici-même dans le numéro du 15 mai par Eugène Andréanszky, délégué général des Enfants de cinéma. Devant une assemblée très nourrie, les membres du collectif ont tracé les grandes lignes des attaques tous azimuts dont est victime l’action culturelle cinématographique depuis plusieurs mois, à la suite des baisses de crédits alloués par le ministère de la Culture. Et ont annoncé les mobilisations à venir.

Pour décembre prochain sont en préparation des États généraux de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle. Quant au mouvement Sauvons la culture, le 21 juin pourrait en constituer une nouvelle étape importante, sur l’initiative des Têtes raides, qui appellent, en ce jour de la fête de la musique, à un grand Boum (à la suite du grand Chut de l’an dernier). Au cours des questions qui ont suivi, le documentariste Nicolas Philibert et Eugène Andréanszky ont aussi rappelé la nécessité que le Club des 13 s’ouvre aux questions de l’action culturelle, totalement absentes de son rapport sur la situation du cinéma français. Le Club des 13 a promis que des rencontres auraient lieu… promesse qui reste aujourd’hui en suspens.


La presse écrite en question

lundi 19 mai 2008
Éditorial de Ouest-France
par François Régis Hutin



La crise de la presse atteint pratiquement tous les journaux quotidiens avec plus ou moins d'impacts.

En ce qui concerne la presse quotidienne nationale, on constate les difficultés du journal Libération, celles du Monde et du Figaro. Ces deux derniers titres recourent à des plans d'économies, ainsi qu'à des plans sociaux entraînant départs volontaires et éventuellement licenciements.

Dans la presse quotidienne régionale, on a assisté à la vente d'un nombre important de journaux depuis trois ans. Ainsi, Centre Presse, Corse Matin, La Voix du Nord, La Provence, Le Bien Public, Le Courrier de l'Ouest, Le Dauphiné Libéré, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Maine Libre, Le Progrès, Le Républicain Lorrain, L'Indépendant, Midi Libre, Nice Matin, Nord Éclair, Presse Océan et Var Matin ont changé de propriétaires depuis 2005.


Que se passe-t-il ?

Pour équilibrer ses comptes, une entreprise de presse recourt essentiellement à deux types de ressources : les recettes de ventes (55 à 70 % du total), les recettes de publicité (30 à 45 %). Lorsque les recettes de publicité diminuent, le prix de vente du quotidien augmente. Si la progression du prix est jugée trop forte, le lecteur se tourne vers d'autres moyens d'information qui sont ou qui lui paraissent moins coûteux.

C'est le cas actuellement. La part de la presse quotidienne dans les recettes publicitaires a diminué de 20 à 13 % entre 1987 et 2007.

Parallèlement, le prix moyen des journaux sur la même période est passé de 0,66 € à 0,94 €, soit une augmentation de 50 %.

Dans le même temps, la diffusion de la presse quotidienne est passée de 8,5 à 7,2 millions d'exemplaires, ce qui signifie qu'elle a perdu 1,3 million d'exemplaires.



Des défis à relever

Au total, les recettes des journaux se trouvent gravement amputées. Elles ne permettent plus à certains titres d'investir pour adapter ou moderniser leurs moyens de production. Se sentant menacés dans leur avenir, certains propriétaires de journaux ont jeté l'éponge et vendu leurs titres à des groupes qu'ils pensent susceptibles d'investir pour redresser la situation.

Par ailleurs, de nouveaux moyens d'information ont surgi et se développent. La télévision a vu se multiplier le nombre de postes (il y a maintenant, très souvent, plusieurs postes de télévision par foyer). En outre, le nombre de chaînes s'est considérablement multiplié et l'on peut accéder à pratiquement toutes les chaînes du monde grâce au satellite.

Internet se développe très rapidement : le nombre de ses utilisateurs, qui atteint 17 millions aujourd'hui, a augmenté de 50 % au cours de ces trois dernières années. Des journaux gratuits, vivant seulement de recettes publicitaires, ont fait une percée importante, notamment en région parisienne.

Ces concurrents prennent évidemment du temps aux lecteurs éventuels. Ils paraissent parfois plus faciles d'accès. D'autre part, une entreprise de presse qui dispose de ses propres rotatives ne peut les utiliser que pour le temps nécessaire à l'impression de ses exemplaires. Elles sont donc arrêtées le reste du temps. Or, ces machines sont coûteuses et pourraient être assimilées à des machines utilisées dans l'industrie lourde. Or, pour amortir celles-ci, on les fait tourner 24 heures sur 24, ce qui n'est pas possible pour une rotative de presse dédiée à un journal, étant donné que le tirage doit être effectué dans un temps restreint permettant de l'acheminer ensuite au point de distribution.

Enfin, traditionnellement, les salaires de la branche presse sont relativement élevés.

Le problème est donc difficile à résoudre, surtout lorsque les recettes faiblissent. Voilà qui explique les tensions ressenties dans cette profession qui se trouve fragilisée en Amérique comme en Europe. La France n'échappe pas à ce phénomène ni en ce qui concerne la presse quotidienne régionale ni en ce qui concerne la presse quotidienne nationale. Si la presse veut survivre, il lui faudra se moderniser tout en diminuant ses coûts et en améliorant les services qu'elle doit rendre au public et à notre démocratie. Des adaptations sont donc indispensables. Elles expliquent les difficultés rencontrées ces temps-ci.



Groupe Le Monde : une crise exemplaire




À la suite de l’annonce par le directoire du groupe d’un plan prévoyant la suppression de 130 emplois et la cession de certaines filiales jugées trop peu rentables [1], les salariés du Monde se sont mis en grève le 14 avril, puis à nouveau, le 17 avril (rejoints par ceux des filiales Fleurus Presse et de Télérama) et, enfin, le 5 mai. La crise du groupe Le Monde est à la fois spécifique et exemplaire. Pour la comprendre, il est nécessaire de l’inscrire dans sa propre histoire et de l’éclairer par les discours et des manœuvres en cours dans le secteur.


Fatales restructurations ?


« Ce que l’on a connu dans la sidérurgie, nous allons bientôt le connaître dans la presse. » Le 14 avril, sur France Inter, Michel Delberghe journaliste CFDT au Monde tente de mettre en perspective le conflit en cours dans son entreprise. Une comparaison alarmiste que semble justifier la multiplication des « charettes » et la détérioration constante des conditions d’emploi.

Si l’on s’en tient à la presse quotidienne nationale, le plan annoncé au Monde intervient après la suppression de 76 postes sur 276 à Libération en novembre 2006 et, en février 2008, la direction du Figaro a présenté un projet qui prévoit 60 à 80 départs volontaires. Dans tous les médias, et donc dans la presse écrite, la précarité s’étend. Au 2 janvier 2008, on comptait 37 301 titulaires de la carte de presse [2]. Parmi eux, 22% de pigistes. Un taux de précarité qu’il faudrait majorer en ajoutant tous ceux qui cherchent à obtenir la carte de presse, tous ceux qui n’ont pas réussi à la renouveler alternant, par exemple, contrats rémunérés sous statut de correspondant ou d’auteur et travaux alimentaires. Il reste que la situation globale des journalistes ne peut être décemment comparée à celles des ouvriers de la sidérurgie ou de la métallurgie.

Sans doute chaque journaliste pris individuellement n’est-il pas responsable de l’orientation éditoriale du titre pour lequel il travaille. Mais on peut comprendre la tentation de renvoyer ceux qui subissent aujourd’hui la violence patronale à leur apparente indifférence quand cette même violence se déployait (et se déploie encore) à l’endroit d’autres salariés. Comment ne pas repenser aujourd’hui à la morgue éditoriale et au mépris rédactionnel pour des luttes équivalentes contre des plans similaires dans d’autres secteurs d’activités, comme invite à le faire une tribune publiée dans Bakchich.info attribuée à un journaliste du Monde ? Un exemple ? Louis Schweitzer, président du Conseil de surveillance du Monde, est l’ancien PDG de Renault qui assuma la fermeture du site de Vilvoorde (3.100 salariés). En 2005, à son départ du groupe automobile, le quotidien vespéral publiait un portrait dithyrambique du « surdoué » qui se retirait alors « auréolé de ses succès [3]. » Ironie cruelle de l’histoire ?

Ni Gandrange, ni Vilvoorde… Mais indéniablement, après d’autres, le secteur de la presse écrite connaît un processus de « rentabilisations » ravageuses. « L’épreuve de force engagée par les personnels du Monde n’est pas isolée souligne le site du Monde diplomatique. Selon la Confédération française démocratique du travail (CFDT), vingt-huit rédactions françaises ont recouru à la grève au cours des neuf derniers mois. Depuis l’éclatement de la bulle Internet et l’effondrement des revenus publicitaires, les propriétaires de médias soumettent les salariés à une pression économique croissante. »

Les managers du changement et de la normalisation économique exercent cette « pression » en la justifiant par un triple discours de la fatalité, tout à la fois technologique, éditoriale et commerciale.




Une fatalité technologique ?


Première justification qui vaudrait pour Le Monde et pour d’autres journaux : l’attraction fatale exercée par Internet, avec ses effet économiques et éditoriaux.

Un temps vice-président du groupe Le Monde et, toujours, président du Monde Interactif et de Télérama, Bruno Patino explique dans un livre aux accents prophétiques, coécrit avec Jean-François Fogel – Une Presse sans Gutenberg – qu’« Internet est le média ultime, partout présent, immatériel [4] ». Cette hégémonie s’instaurerait progressivement : « en 1995, on ne comptait que 23.500 sites Internet notent, par exemple, Vincent Giret et Bernard Poulet dans un article récent de la revue Le Débat ; en juillet 2007, la société anglaise Netcraft en a recensé plus de 125 millions. [5]. »

Combinée à la montée en puissance d’autres supports comme la presse gratuite ou le téléphone mobile, l’avènement d’Internet aurait comme conséquence inexorable l’évaporation des revenus publicitaires vers ces nouveaux supports. En France, la part du marché publicitaire sur Internet ne cesse de croître : elle est passée de 5,9% en 2005 à 10,8% en 2007 (premier trimestre). Et la progression des investissements sur le Web est estimée à 34,5 % en 2007 [6]. À l’inverse, la pagination publicitaire de la presse quotidienne nationale (PQN) a diminué de 32,5% en moins de dix ans [7].

La diminution des recettes publicitaires, mais aussi la montée en puissance des « gratuits » (30% de croissance de leurs revenus publicitaires depuis leurs lancement en 2002 [8]) et le vieillissement du lectorat (42,5% du lectorat de la PQN a plus de 50 ans [9]) sont les ingrédients de l’incontournable « crise de la presse ». « Les revenus à deux chiffres – entre 15% et 25% de résultats – qui caractérisaient les journaux américains ne seront bientôt plus qu’un souvenir », expliquent ainsi Giret et Poulet qui poursuivent : « Certains, et non des moindres, sont déjà dans le rouge. Ainsi, le San Francisco Chronicle a-t-il accumulé 300 millions de dollars de perte entre 2000 et 2006 (…). »

Les menaces économiques se conjugueraient aux menaces éditoriales et à celles que fait peser l’usage public du nouveau média « ultime ». Toutefois, si les mutations sont indéniables, des constats aux pronostics annonçant la substitution d’Internet aux autres médias, le pas est rapidement franchi. Deux arguments invitent à une certaine prudence [10].


1) Le premier est d’ordre historique. Le principe selon lequel un média chasse les autres n’a jamais pu être vérifié. « On peut facilement ainsi décliner, s’amuse l’historien Christophe Charle : le journal à un sou du XIXe siécle tuera la presse d’opinion née de la Révolution française, la presse à sensation et à photographies enterrera la précédente presse populaire sans image, la radio et la télévision instantanés et quasi gratuites anéantiront cette presse à sensations sous leur flot d’images et de sons, le réseau Internet universel et omniprésent, flanqué de la presse gratuite, portera le coup de grâce à la presse d’information subsistante et à l’équilibre économique sur lequel elle reposait [11]. » Et Charle d’expliquer : « ce schéma historique universel et commode dans sa simplicité n’est nullement une histoire valide des différents médias et de leurs relations et moins encore un pronostic crédible sur la crise des médias. La situation critique de la presse nationale française cohabite avec la montée en puissance et la prospérité d’autres formes de presse qui, elles, ne semblent pas menacées par la concurrence des médias évoquées plus haut [12]. » L’historien cite, par exemple, la presse dite « people ».


2) Le second argument qui incite à une certaine prudence est d’ordre économique. La bulle Internet de la fin des années 1990 et son éclatement en 2000 semblent aujourd’hui presque oubliée. Pourtant, la capitalisation boursière de Google est de 1,8 milliards de dollars quand celle d’IBM est de 1,3 milliards de dollars alors que le résultat net 2007 de cette société est plus de deux fois supérieur à celui de Google [13]. Rappeler ce décalage et ses éventuelles conséquences (un retournement de tendance défavorable au Web), c’est aussi rappeler que le développement multimédia n’est souvent qu’un choix de gestion fondé sur une appréciation du marché publicitaire et de ces perspectives d’évolution.





Une fatalité éditoriale ?


Plus ou moins liée à la fatalité technologique, une fatalité éditoriale justifierait les « rentabilisations » en cours.

Dans l’article déjà cité, Vincent Giret et Bernard Poulet rapportent, pour se l’approprier, la thèse de Michael Wolff, homme de médias américain, selon lequel : « La consommation de news, cette pratique légèrement fétichiste, cette expérience plus ou moins distrayante qui définissait un large espace commun, collectif, est en passe de disparaître [14]. »Une désaffection des publics pour l’information au sens traditionnel ? Les dirigeants des rédactions s’exonèrent souvent de leurs propres choix en les rapportant à ce que serait aujourd’hui la demande. À partir de ce qu’ils présentent comme une tendance uniforme et définitive, ils élaborent de nouveaux projets éditoriaux qui sont supposés remédier au désintérêt des lectorats.

Depuis qu’il dirige Libération, Laurent Joffrin met en œuvre une stratégie de « coups » : « Ma stratégie, expliquait-il à Stratégies dès février 2007, est de continuer à faire des coups, avec des “unes” fortes. Il faut que nous soyons plus agressifs » [15].

Autre quotidien, autres « ajustements » : le cas du Monde, une fois encore, est exemplaire. Dans le cadre de son projet « CSP+ » [16], Éric Fottorino propose de conforter l’option qui est celle de son journal depuis plusieurs années et notamment depuis la mise en place de la nouvelle formule (conçue par Fottorino lui-même en 2005) : de moins en moins d’informations, de plus en plus de commentaires. Éditoriaux de la page 2, analyses et tribunes des pages centrales, chroniques en dernière page, chronique des pages « économies » ou « sport » : parcourir Le Monde aujourd’hui, c’est lire une succession de leçons sur ce qu’il convient de penser ou de relever de tel ou tel événement. Des leçons dispensées de surcroît et de plus en plus par quelques personnalités extérieures à la rédaction et dont la notoriété est supposée attirer l’audience et la publicité afférente : écrivains branchés comme François Bégaudeau ou essayistes conservateurs comme Nicolas Baverez

Les suppressions d’emploi annoncées récemment sont en partie la conséquence de cette évolution éditoriale présentée comme une adaptation à des tendance inexorables ; une évolution que les suppressions d’emploi, en retour, permettront de justifier. La pagination de la nouvelle formule du quotidien est de 30-32 pages en moyenne quand elle était de 44 pages en 1986. Fottorino explique en conséquence : « Nous n’avons pas adapté à l’époque notre organisation a ce nouvel état de fait. C’est ce que je suis en train de réaliser [17] ». Mais s’agit-il simplement d’un « état de fait » ?

Y aurait-il un fatum de la presse écrite ? L’information est partout, l’information intéresse de moins en moins en tant que telle, la valeur ajoutée provient du commentaire : quand la direction du Monde repense son projet éditorial autour d’un cœur de cible resserré (le lecteur urbain, aisé et instruit), elle fait aussi sienne ce discours crépusculaire. Dans un éditorial publié le 19 avril 2008, Fottorino décrit sa « vision journalistique du Monde de demain ». « Il s’agira, explique-t-il, d’un journal plus ramassé, plus dense, plus sélectif, préférant l’explication, l’analyse et la diversité des points de vue à la redite des informations, déjà fournies par tant de médias à la vitesse de la connexion numérique. ». On relèvera que le journalisme d’enquête ou d’investigation est absent de ce « programme ».

Pourtant, du côté des responsables des grands titres nationaux et de ceux du Monde en particulier, on ne s’interroge guère sur la contribution de la presse elle-même à la désaffection qu’elle subit. De moins en moins de reportages et d’enquêtes, toujours plus de prescriptions et de sermons : ces tendances, entre autres, expliquent peut-être en partie la lassitude de nombreux lecteurs et le désintérêt des plus jeunes qui n’ont jamais connu que cette presse de bavardage… Or le remède préconisé pour répondre à la « crise » consiste justement à renforcer ces tendances .



Une fatalité commerciale ?



Dans l’éditorial déjà citée du 19 avril 2008, Fottorino évoque « l’indispensable, la bienfaisante publicité » dont parlait Hubert Beuve-Méry. Il cite encore le fondateur du Monde qui écrivait : « S’il est vrai qu’un journal digne de ce nom comporte des éléments qui doivent toujours rester hors du commerce, il est aussi, au sens le plus banal du mot, une entreprise qui achète, fabrique, vend et doit faire des bénéfices. » La référence (obligée) à Beuve-Méry sert – à contresens des positions de ce dernier – un discours qui entérine, comme s’il s’agissait d’un principe naturel, une quête de la rentabilité entièrement soumise aux prétendues lois du marché et aux prétendus bienfaits de la concurrence commerciale.

La soumission aux prétendues lois naturelles de l’économie est, en vérité une politique. Une politique de la presse qui a mobilisé contre elle dans le passé [18] et qui remobilise à nouveau des syndicats de journalistes pour l’instant relativement isolés [19]. Une politique qui n’est ni une nécessité, ni une fatalité et à laquelle on peut opposer une autre approche de la presse. Comme, par exemple, celle d’un certain… Hubert Beuve-Méry qui en 1966 revendiquait pour la presse (ou une partie de la presse, à côté de la presse associative) un statut de société de presse à but non lucratif pour « mettre les entreprises de presse à l’abri des éventuelles convoitises de leurs propres actionnaires [20] » .

Le triple discours de la fatalité technologique, éditoriale et commerciale, remplit deux fonctions : il permet à la fois aux chefferies des groupes de presse de s’exonérer de leurs propres responsabilités dans la situation actuelle et de proroger la logique essentiellement mercantile et capitalistique qui a prévalu jusqu’alors.






Effacer les choix passés…



Il n’y avait, parait-il, aucune alternative. En guise de stratégie, il fallait subir les prétendues lois de la concurrence, en affectant de les dompter. Conséquence : les pertes cumulées du groupe Le Monde sur six exercices consécutifs se seraient élevés à 146 millions d’euros [21]. La dette du groupe s’élevait, en 2007, à 150 millions d’euros. À la fin de cette même année, la cession des journaux du Midi (dont Le Midi libre) au groupe Sud-Ouest a permis de la ramener à 97 millions d’euros. Mais l’exercice 2007 s’est soldé par un nouveau déficit de près de 20 millions d’euros. Or cette hémorragie financière est la conséquence directe d’un choix stratégique, celui du trio Minc-Colombani-Plenel : constituer un groupe dont la taille permettrait de garantir l’indépendance de son « navire amiral » et de ses « flotteurs » comme disait Minc afin de le protéger des appétits des industriels et des financiers... auxquels la porte a cependant été ouverte, de toutes les façons.

Cruel épilogue en perspective ? La prise de contrôle du Monde par Lagardère et Prisa qui reviendrait d’abord à acquérir une dette de près de 100 millions d’euros [22].




… et les perpétuer



Une fois, de plus il n’y aurait pas d’autre alternative…. que de prolonger les choix « inévitables » effectués jusque-là. Comme ce fut et c’est encore le cas à Libération [23].

Expropriés de leurs propres entreprises, les salariés du Monde et du groupe Le Monde ont subi et subissent, de surcroît, la capilotade économique, ses conséquences sociales et la captation prédatrice des actionnaires et des dirigeants qui les servent. Colombani, Minc et Plenel, comme l’expliquaient Pierre Péan et Philippe Cohen dans La Face cachée du Monde, ont mis en place dès la fin des années 1990 une « stratégie du tiroir-caisse » consistant à « financer la croissance interne d’un groupe par les sociétés qu’il “achète” [24] ». Une stratégie assumée non sans cynisme : évoquant les 30 millions d’euros provenant de la vente des immeubles des PVC, Alain Minc expliquait encore le 12 février 2008 dans Le Figaro : « En “se payant sur la bête”, Le Monde a évité le pire. »

Mais le pire n’a pas cessé… d’empirer. Aussi les successeurs de Minc et Colombani ont-ils décidé de céder l’éditeur de presse Fleurus intégré aux Presses de la Vie Catholique, (PVC), un groupe « dépecé » depuis son acquisition par Le Monde en 2003, comme le dit Luc Le Chatelier, délégué syndical SNJ [25] qui ajoute : « Morceau par morceau, tout fout le camp ! » Pas pour tout le monde. La revente des actifs et la cession des filiales insuffisamment rentables génèrent du cash quand les titres profitables sont conservés.

Cette « attitude prédatrice » dénoncée par l’intersyndicale du pôle magazines (Le Monde du 9 mai 2008) ne concerne pas que les actifs. Les « marques » sont aussi concernées. Au Monde, comme au Figaro ou à Libération, les actionnaires cherchent à mettre la main sur l’identité de ces titres « prestigieux » pour constituer les « global média » de demain [26] ou, à tout le moins, pour tenter d’agréger des « audiences » Internet génératrices de rentrées publicitaires. « En règle générale, remarque Le Monde diplomatique, les réductions d’effectifs s’accompagnent d’une diversification multimédia engagée dans l’espoir de capter des ressources publicitaires nouvelles. » Pour mettre en œuvre cette diversification, ce qu’il reste des rédactions est restructuré. Ainsi, au Parisien/Aujourd’hui en France, une rédaction pluri-média a été créée. Ses journalistes écriront pour le journal papier comme pour le site Internet [27].

De telles restructurations ont eu lieu depuis plus d’un an et demi au New York Times et plus récemment au Daily Telegraph (Grande-Bretagne). Un responsable du quotidien australien Sidney Morning Herald explique avec franchise : « Chez nous, on ne travaille plus pour un journal mais pour une entreprise de médias, avec un contrat de travail unique. Il a fallu beaucoup négocier car les journalistes sont en général très conservateurs et très peu informés des évolutions du monde réel [28]. » En France, en tous cas, certains d’entre eux sont déjà mobilisés contre cette « mutualisation des contenus » entre médias ou entre supports. Celle-ci fait l’objet d’un conflit en cours au sein du groupe Ebra (Le Progrès, Les Dernières Nouvelles d’Alsace,…) [29].





Et maintenant ?



Pour la presse vespérale, quel bilan ? « Le Monde est une maison malade qu’il faut soigner et guérir à tout prix », déclare Éric Fottorino dans un entretien aux Echos (7 mai 2008). Mais la guérison proposée ne peut qu’aggraver la mal.

A court terme, au Monde comme ailleurs dans la presse, les urgences défensives qui s’imposent aux salariés, placés dans une situation d’autant plus difficiles qu’ils se mobilisent entreprise par entreprise, sans bénéficier ni de la mobilisation de leurs lecteurs, ni d’une solidarité élargie, permettra peut-être de sauver ce qui peut l’être. Mais elle ne permettra pas d’inverser des tendances d’autant plus puissantes que la question des médias, éminemment politique, a été abandonnée aux prétendues fatalités qu’invoquent les stratèges pour habiller leur propre politique.

S’opposer à cette politique implique l’élaboration de propositions alternatives. Pour tenter de libérer le secteur des médias de l’emprise de l’argent, un pôle public et associatif des médias sans but lucratif, véritable service public de l’information et de la culture doit ainsi être défendu comme la modification radicale de l’aide publique à la presse.

S’opposer à cette politique implique aussi la reconstruction d’un rapport de force. La convergence est d’autant plus nécessaire, la question peut d’autant moins être sous-traitée aux seules organisations syndicales que le problème dépasse la question des conditions de travail des salariés des médias et celle de leur droit d’informer. Quand Lagardère prend le contrôle du Monde, quand Dassault possède Le Figaro et quand l’actionnaire de référence de Libération s’appelle Rothschild, ce qui est en jeu c’est le droit à l’information des citoyens ; ce qui est en jeu, ce sont les questions des formes d’appropriation des médias et des modalités de leur financement.

Le Conseil National de la Résistance s’est posé ces questions à la Libération. Elles l’ont amené à se fixer comme objectif dans son programme de mars 1944 la transformation de l’ordre médiatique pour assurer « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères »

En 2004, certains résistants lançaient un appel, publié ici même, qui invitait, notamment, sur cette question des médias, à remettre leur ouvrage sur le métier. Il se concluait ainsi : « Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944. Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : “Créer, c’est résister. Résister, c’est créer”. »

Cette résistance à longue portée fait, elle aussi, partie des urgences.

Grégory Rzepski



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[1] Lire « Au Monde, les stratèges planifient et les salariés trinquent ».
[2] Le Plan B n°13.
[3] « La retraite en fanfare », Le Monde du 29 avril 2005.
[4] Une Presse sans Gutenberg, Grasset, 2005, p. 229.
[5] « La fin des journaux », Le Débat, janvier-février 2008.
[6] Selon TNS Media Intelligence, cité par Le Monde (12 février 2008).
[7] Selon TNS Media Intelligence, cité par Stratégies (24 avril 2008).
[8] Ibid.
[9] Étude d’audience EPIQ, citée par Stratégies (24 avril 2008).
[10] Voir, ici même « Internet, les transformations de l’espace médiatique et de l’information ».
[11] « Histoire des médias et crise des médias. L’ancien et le nouveau » in Pour une analyse critique des médias, éditions du Croquant, 2007, p. 28.
[12] Art. cité.
[13] Dans un premier temps, nous avions commis une erreur en citant l’article du Débat qui compare les valeurs des actions en les rapportant aux résultats. Un correspondant nous a signalé ce problème et nous l’en remercions. Note d’Acrimed, le 27 mai 2008.
[14] L’article de Wolff s’intitule « Is This the End of News ? ». Il est paru dans Vanity Fair en octobre 2007.
[15] Lire ici même « Laurent Joffrin règne sur Libération : changement ou faux-semblants ? ».
[16] Sur ce projet, on peut lire ici même « Pour Le Monde publicité et la direction du Monde, « Nous sommes tous des CSP+ ».
[17] Cité par Challenges.fr.
[18] Lire Pierre Rimbert, « Sociétés de rédacteurs, un rêve de journaliste », Le Monde diplomatique, mai 2007.
[19] Voir ici même « Une information malade, c’est une démocratie en danger ! ».
[20] Cité par Alain Rollat, Ma part du Monde, Les Editions de Paris, mai 2003, p.138. Avec d’autres, Acrimed a remis cette proposition dans le débat et suggère notamment de réserver l’aide à la presse aux titres recourant à ce statut et à la presse associative. Lire ici même « Pour la constitution de sociétés de presse à but non lucratif ». Les moyens ainsi dégagés permettrait de concrétiser un pluralisme aujourd’hui très théorique et néanmoins toujours plus menacé…
[21] D’après Stratégies, le 21 juin 2007.
[22] Lire ici même nos articles précédents sur la situation du groupe : « Un Monde sans Colombani » et « Un Monde sans Minc ? ».
[23] Lire notamment « “Libération, de Sartre à Rothschild (extrait de) : L’engrenage » et « Libération, d’un Joffrin à l’autre ».
[24] La Face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003, p.565.
[25] Cité par Libération.fr, le 17 avril 2008.
[26] Sur cette captation des marques et celle du Monde en particulier, on peut lire : « Les nouveaux maîtres du Monde. En attendant Lagardère ? ».
[27] Voir LeNouvelobs.com.
[28] Cité par Vincent Giret et Bernard Poulet, art. cité.
[29] Lire ici même « Offensive contre les journalistes du groupe Ebra ».


Crise de la presse ces dernières années


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Des luttes pour les publics

Christophe Kantcheff
Politis, le 15 mai 2008



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Christine Albanel veut favoriser les "gros tournages" américains en France

Le Monde
le 14 mai 2008



A l'occasion de la 61e édition du Festival de Cannes, qui ouvre mercredi 14 mai, la Ministre de la Culture et de la communication annonce la mise en place d'un crédit d'impôt international, destiné à attirer les gros tournages hollywoodiens dans l'Hexagone et le doublement des crédits pour le cinéma à l'école.


Quel est votre sentiment sur le cinéma français, écartelé entre les difficultés du financement des films d'auteur, soulignées par le rapport Ferran, et les bons chiffres de fréquentation en salles, et du fort niveau de production ?

Cannes - qui a révélé des talents en 2007 : Mungiu, Satrapi et Paronnaud ou Fatih Akin - nous rappelle que ce qui fait la grandeur et la force du cinéma, c'est sa diversité. Il est essentiel que le cinéma français ne s'enferme pas dans une production à deux vitesses : des films à vocation grand public, bien financés, des films d'auteur pauvres... Nous avons tous les atouts pour résister à cette tendance, qui serait dangereuse artistiquement. La France reste le troisième pays producteur de films, après l'Inde et les Etats-Unis. 2007 a été une année très visible, avec le formidable succès des Ch'tis et nos trois Oscars à Hollywood. Sur ce que déplore, à juste titre, le rapport Ferran - la disparition des films de moyens budgets -, on a des signes de rééquilibrage depuis 2007. Notre défi est de confirmer ce rééquilibrage.


Reprendrez-vous certaines mesures du rapport Ferran ?

Je partage certaines de leurs préoccupations et plusieurs pistes qu'ils appellent de leurs voeux font déjà l'objet d'actions concrètes du Centre national de la cinématographie. La question centrale de l'aide au développement, au scénario des films, fait l'objet d'aides en très forte hausse cette année. L'avance sur recettes augmente aussi de 10 % pour la première fois en 2008, avec une préoccupation de redistribution plus équilibrée. Notre souci est et sera d'aider prioritairement la distribution indépendante.

La relation entre le cinéma et les télévisions est compliquée, mais féconde, comme en témoignent les 300 millions d'euros qu'apportent les chaînes au cinéma français. La perspective d'une suppression partielle de la publicité sur les chaînes du secteur public peut changer la donne. S'il n'y a plus de contrainte pour obtenir de la publicité sur ces chaînes, les films qu'elles coproduisent seront moins formatés. Le rapport propose aussi de renforcer l'éducation à l'image. Avec le ministre de l'éducation, Xavier Darcos, nous allons doubler les aides à l'école, au collège et au lycée au cinéma l'an prochain. Elles concerneront 2,5 millions d'élèves, contre 1,25 aujourd'hui. Ce sera la première fois que ces programmes impliqueront autant de jeunes.



En Grande-Bretagne, en Allemagne, des aides fiscales attirent les gros tournages hollywoodiens. La France doit-elle faire de même ?

Oui, je ferai tout pour que le crédit d'impôt international soit dans le projet de loi de finances de 2009. Il ciblera des films à gros budgets. C'est une mesure d'attractivité du territoire, qui aura des retombées importantes en termes d'emplois - notamment des industries techniques du cinéma -, d'économie et de tourisme. La concurrence est très rude avec les pays voisins. Des gros tournages réalisés en 2005 comme Marie-Antoinette, de Sofia Coppola, le Da Vinci Code ou Une grande année, de Ridley Scott apportent un ballon d'oxygène. L'idée est de faire revenir ces films hollywoodiens aujourd'hui tournés ailleurs, sans pour autant ouvrir les vannes à tous les projets.



Déplafonnerez-vous le crédit d'impôt national, qui n'empêche pas les gros films français d'être tournés à l'étranger ?

Non, ce n'est pas à l'ordre du jour. Notre priorité est d'aider les films à moyen budget.



Comptez-vous reprendre des suggestions du rapport sur le droit de la concurrence dans le cinéma ?

Nous sommes en phase de consultation publique. Aucune décision n'est prise. Je ne suis pas favorable à une "taxe pop-corn" ; les exploitants sont libres de fixer leurs tarifs, mais il faut que la rémunération des ayants droit soit préservée.


Propos recueillis par Nicole Vulser

Pour une revue de plaisir et de combat


Un scénario s'esquisse pour la reprise des « Cahiers du cinéma »

Par Sylvain Bourmeau

Créé 08/05/2008 - 10:58
Culture-Idées /Cahiers du Cinéma / Presse


Alors que Le Monde prend du retard dans le processus de vente des Cahiers du cinéma, le projet de reprise présenté par l'actuel rédacteur en chef, Emmanuel Burdeau, semble se détacher en recevant le soutien d'une cinquantaine de personnalités. La rédaction du mensuel devrait également appuyer ce projet.

Le Monde a pris du retard sur le calendrier serré qu'il s'était lui-même fixé pour la vente des Cahiers du Cinéma. C'est en milieu de semaine prochaine seulement, soit au moment de l'ouverture du Festival de Cannes vers lequel convergent tous les professionnels du secteur, qu'il devrait permettre aux repreneurs potentiels l'accès à un première « info-mémo ».

Ceux qui ne seront pas trop échaudés par des comptes qui s'annoncent très mauvais pourront demander à entrer, deuxième phase du processus, dans une « data room » pour consulter un dossier plus nourri. La date du 31 mai qu'avait avancée Le Monde comme limite de rendu des offres semble désormais oubliée.


Pour l'instant, comme nous le signalions précédemment, seuls trois repreneurs se sont déclarés publiquement : Alain Kruger, producteur de télévision et ancien directeur de journaux au sein du groupe Filipacchi (Première, 7 à Paris, L'Autre Journal), les éditions indépendantes qui éditent Les Inrockuptibles, et Emmanuel Burdeau, l'actuel rédacteur en chef des Cahiers, associé à Thierry Lounas, membre du comité de rédaction.

Déjà signé par plus d'une cinquantaine de personnalités, un texte apporte clairement, « au nom de l'avenir des Cahiers du cinéma », « son soutien » et « sa confiance » au projet de Burdeau et Lounas. Les signataires ( parmi lesquels les critiques Jean Douchet, Thierry Jousse, Bill Krohn ou Jonathan Rosenbaum, les réalisateurs Hou Hsiao Hsien, Quentin Tarrantino, Pascal Bonitzer, les plasticiennes Dominique Gonzales-Foerster, Valérie Jouve ou Natacha Lesueur, les écrivains Olivier Cadiot, François Bégaudeau et Tanguy Viel, philosophes Jacques Rancière et Georges Didi-Huberman...) estiment que ce projet ouvre la perspective de Cahiers renouvelés et fidèles à eux-mêmes.



La rédaction doit annoncer son soutien au projet
« Les mutations de l'époque, écrivent-ils, rendent les Cahiers plus indispensables que jamais, en réclamant l'invention d'un type d'intervention critique apte à répondre à la nouvelle place du cinéma dans le concert des arts et des images. Si le cinéma est désormais au centre, les Cahiers peuvent l'être également, puisqu'ils sont présents sur le papier et sur Internet, et que leur aura demeure un atout majeur. Seront-ils alors contraints d'oublier leur histoire ou de dévoyer leur identité ? Nullement. Ils garderont au contraire intactes la vigueur et la nécessité de leurs débuts, lorsqu'André Bazin et la jeune garde des futurs cinéastes de la Nouvelle Vague se tournèrent vers ce qu'il y a d'impur dans le cinéma ou lorsque, quelques années plus tard, la revue s'ouvrit aux sciences humaines et à la philosophie. C'est, à plus large échelle encore, un moment similaire que nous traversons aujourd'hui. »


Si, dans un entretien accordé à Politis et publié ce 8 mai, Emmanuel Burdeau, confiant, indique qu'il est encore « à la recherche d'un véritable partenaire financier», il peut donc d'ores et déjà compter sur un atout symbolique majeur avec ce texte, d'autant que la rédaction dans sa quasi totalité devrait elle aussi prochainement apporter son soutien à son projet.


Dans ces conditions, il serait évidemment très risqué pour un autre repreneur de se lancer dans l'aventure - à moins de considérer qu'une marque, aussi forte soit-elle, puisse avoir un avenir sans qu'elle continue d'être garantie par ceux qui en sont à la fois les dépositaires et les réinventeurs permanents.


Pour l’avenir des « Cahiers du cinéma »


Ci-joint, pour information, et pas pour signature – sauf démarche strictement personnelle de ceux qui le souhaiteraient –, le courrier reçu par le biais des Amis des Cahiers.

Rappelons en effet le contexte actuel. Suite à un déficit très important, la mise en vente des Editions de l'Etoile a été lancée par Le Monde, leur propriétaire actuel. Parmi les différents secteurs d'activité des Editions de l'Etoile figure la revue Les Cahiers du cinéma. L'examen des différentes offres de reprise est en coursi.

Chaque fois que nous-mêmes en aurons les moyens, nous vous tiendrons informés des différentes étapes de cette procédure apparemment inévitable mais qui n'est pas sans danger pour l'avenir des Cahiers ainsi que de tous ceux qui y participent, et auxquels le BLAC tient, à cette occasion, à exprimer toute sa solidarité et sa confiance.








Chers tous,


Vous trouverez ci-joint : la lettre " Pour l'avenir des Cahiers du cinéma " ; la liste des premiers signataires ; la liste des signatures parvenues par la suite, les 11 et 12 mai.

Cette liste est naturellement appelée à grandir ; d'ici quelques jours, un site sera ouvert où chacun pourra signer et avoir accès aux informations dont il a besoin.


Bien à vous,


jean douchet



Dans une tribune publiée par Libération le jeudi 24 avril, Les Amis des Cahiers du cinéma ont marqué leur attachement à la préservation de l'identité des Cahiers du cinéma, après l'annonce brutale de leur mise en vente par Le Monde. Comme l'ensemble de la presse, les Cahiers se trouvent aujourd'hui à un tournant de leur histoire. C'est un moment délicat, mais qui peut être porteur de promesse et de renouveau. Dans toutes leurs composantes, revue, éditions, photothèque, site Internet, les Editions de l’Etoile / Cahiers du cinéma doivent demeurer un acteur central de la vie culturelle française.

Nous partageons à cet égard une conviction : le meilleur moyen pour les Cahiers de garantir leur identité est de se tourner vers l'avenir. Ils doivent aujourd’hui être en mesure d'affronter de nouveaux enjeux critiques. Le cinéma, en effet, n'est plus le même qu'à l'heure de leur création. Autrefois dernier né des arts, il est aujourd'hui l’un des premiers. Il ne cesse de stimuler la littérature, l'art contemporain, la musique, la fiction télévisuelle, Internet... Sa diffusion ne se limite plus à la salle obscure : les films sont sur DVD, sur les sites web, dans les livres, au musée....

Autant dire que le cinéma nous concerne désormais tous au premier chef : artistes, philosophes, écrivains, cinéastes, critiques, acteurs, directeurs de festivals…

Les mutations de l’époque rendent les Cahiers plus indispensables que jamais, en réclamant l'invention d'un type d'intervention critique apte à répondre à la nouvelle place du cinéma dans le concert des arts et des images. Si le cinéma est désormais au centre, les Cahiers peuvent l'être également, puisqu'ils sont présents sur le papier et sur Internet, et que leur aura demeure un atout majeur. Seront-ils alors contraints d'oublier leur histoire ou de dévoyer leur identité ? Nullement. Ils garderont au contraire intactes la vigueur et la nécessité de leurs débuts, lorsqu'André Bazin et la jeune garde des futurs cinéastes de la Nouvelle Vague se tournèrent vers ce qu'il y a d'impur dans le cinéma ou lorsque, quelques années plus tard, la revue s'ouvrit aux sciences humaines et à la philosophie. C'est, à plus large échelle encore, un moment similaire que nous traversons aujourd'hui.

Emmanuel Burdeau et Thierry Lounas, respectivement rédacteur en chef et membre du comité de rédaction, ont fait part de leur volonté de relever ces défis en élaborant un nouveau projet éditorial et économique pour les Cahiers. Ce projet a la confiance de la rédaction et du conseil éditorial. Il entend assurer la pérennité de l'entreprise dans toutes ses composantes, tout en l'adaptant aux enjeux présents et futurs. Une telle décision nous semble à la fois naturelle et réjouissante. Elle ouvre la perspective de Cahiers renouvelés et fidèles à eux-mêmes.

Au nom de l'avenir des Cahiers du cinéma, nous assurons ce projet de notre soutien et de notre confiance.

Jean Douchet




Premiers signataires :
Laure Adler, Chantal Akerman, Pierre Alferi, Sandy Amerio, Cédric Anger, Jacques Aumont, Luca Bandirali, Jean-Pierre Beauviala, Xavier Beauvois, François Bégaudeau, Marco Bellocchio, Raymond Bellour, Joao Bénard da Costa, Pascal Bonitzer, Stéphane Bouquet, Caroline Bourgeois, Nicole Brenez, Jean-Claude Brisseau, Erik Bullot, Ricardo Matos Cabo, Olivier Cadiot, Fulvia Carnevale, Francesca Comencini, Pedro Costa, Sylvain Coumoul, Pierre Creton, François Cusset, Pierre-Henri Deleau, Piera Detassis, Georges Didi-Huberman, Clément Dirié, Jean Douchet, Bernard Eisenschitz, Victor Erice, Jean-Paul Fargier, Davide Ferrario, Francisco Ferreira, Alain Fleischer, François Fronty, Anne-Marie Garat, Philippe Garrel, Enrico Ghezzi, Elise Girard, Dominique Gonzalez-Foerster, Jean-Pierre Gorin, Joao Mario Grilo, Harry Gruyaert, Alain Guiraudie, Sabina Guzzanti, Shiguehiko Hasumi, Jacques Henric, Danièle Hibon, Jim Hoberman, Pierre-Damien Huyghe, Hou Hsiao-Hsien, Thierry Jousse, Valérie Jouve, Guy Jungblut, Eric Khoo, Nicolas Klotz, Bill Krohn, André S. Labarthe, Anne-Lise Landureau, Natacha Lesueur, Jean-Louis Leutrat, Suzanne Liandrat-Guigues, Philippe Mangeot, Raya Martin, Catherine Millet, Christine Montalbetti, Pietro Montani, Luc Moullet, Jean-Luc Nancy, Valentina Novati, F.J. Ossang, Bruno Péquignot, Paul Otchakovsky-Laurens, Arnaud des Pallières, Mark Peranson, Marie-Dominique Popelard, Olivier Père, Cristina Piccino, Sylvie Pierre, Denis Podalydès, Angela Prudenzi, Mathieu Potte-Bonneville, Jacques Rancière, Jean-Pierre Rehm, Charlotte Renaud, Fabrice Revault, La Revue Internationale des Livres et des Idées, Pierre Rissient, Paulo Rocha, Jean-Marie Rodon, Jonathan Rosenbaum, Jean-Claude Rousseau, Raoul Ruiz, Barbet Schroeder, Albert Serra, André Siglé, Agnès Sire, Louis Skorecki, Alexandre Sokourov, Auraeus Solito, Jean-François Stévenin, Jean-Marie Straub, Peter Szendy, Quentin Tarantino, Enrico Terrone, Rémy Toulouse, Luc Vancheri, Gus Van Sant, Claude Ventura, Tanguy Viel, Dominique Villain, Apichatpong Weerasethakul, Dork Zabunyan, Slavoj Zizek, Rebecca Zlotowski.

Club des 13 : résumé des 12 préconisations d'avril 2008